Tableau de Notre Dame du Rosaire (La remise du chapelet à Saint Dominique)
Eglise Saint Pierre de Sassenage
Histoire de la dévotion
C’est une tradition très ancienne dans quasi toutes les civilisations de l’Orient que de répéter une courte formule de dévotion.
En Occident, dès le XIe siècle, on répétait la première partie de l’Ave Maria tirée de l’Evangile de Luc.
Les frères convers (et les religieuses) qui ne savaient pas lire les cent cinquante psaumes (en latin) la répétaient 150 fois pour s’unir aux 150 psaumes de l’Office. Ils s’aidaient pour cela d’une cordelette à nœuds. Puis on y ajouta l’évocation de la vie de Jésus toutes les dizaines, suivies du Notre Père. Et la suite « priez pour nous… ».
Au XVe siècle, le dominicain, Alain de la Roche établit les confréries du Rosaire qui eurent le plus grand succès chez les laïcs. Il déclara qu’il avait eu la vision de Saint Dominique recevant le rosaire de la main même de Marie (ce que ne raconte pourtant pas les vies du saint).
La victoire des chrétiens sur les Turcs à la bataille de Lépante en 1571 fut attribuée par le pape Pie V (dominicain) à la prière du Rosaire. Il institua la fête de N.D. des Victoires le 7 octobre, renommée rapidement fête de N.D. du Rosaire.
Au XVIIIe, Grignon de Montfort se fit à son tour l’apôtre de cette dévotion.
Après la Révolution française, cette pratique reprit beaucoup d’importance, surtout après les apparitions de Lourdes et de Fatima où Marie recommandait de prier le chapelet, et par l’apostolat de Pauline Jaricot.
Les tableaux du Rosaire
Les confrérie devaient posséder un « autel » (chapelle) avec une représentation de Marie offrant le chapelet à saint Dominique, chargé de conduire la prière des hommes.
En face, classiquement, la grande sainte dominicaine Catherine de Sienne, reçoit le chapelet de la main même de Jésus.
Elle conduit la prière des femmes.
De grands maîtres du XVIIe siècle ont peint ce tableau (Le Caravage, Murillo…) .
Or le tableau de Sassenage daté de 1630.
Il est arrivé que les ordres religieux ou les paroisses aient placé « leur » saint à la place de Catherine, voire même de Dominique (remplacé par exemple saint François). A Sassenage, plus de Catherine, mais Saint Pierre, patron de l’église, et derrière lui, le donateur.
La disposition est classique : Marie dans le ciel doré : ici « enveloppée de soleil », comme la femme de l’Apocalypse de la lecture du 15 août. Elle est entourée d’angelots (nus mais au sexe voilé), signifiant qu’elle est bien au ciel. Marie donne le chapelet à Dominique. Sur ses genoux, l’enfant Jésus (qui regarde ailleurs) le laisse pendre comme distraitement vers saint Pierre dont une main empoigne sa clé, l’autre portée sur le cœur. Il ne reçoit donc pas l’objet, mais d’ailleurs, comment saint Pierre pourrait-il prier le rosaire ?
Derrière lui, le pieux dévot (tête penchée, mais pas d’auréole) se met bien en scène et prend soin qu’on se souvienne de son nom par l’inscription : Jean Volmar a commandé cette œuvre. Il faut dire qu’il n’est pas le seul dans l’histoire de l’art !
Il y a en général deux ciels dans ce modèle de tableau : celui d’en haut, spirituel et doré. Et celui d’ici-bas, particulièrement sombre dans ce tableau ! Le rosaire (la prière) fait le lien lumineux entre les deux. Mais aussi le petit ange doré « parachuté » dans nos ténèbres, messager de grâce.
Le chien de Dominique avec une torche dans la gueule évoque le rêve qu’aurait eu sa mère en l’attendant : son fils ira « clabauder » (aboyer) sur les places publiques pour les enflammer de la vraie Parole de Dieu. Dominicains, Dominus canis = chiens du Seigneur.
Cette histoire-là est bien dans les archives dominicaines.
Ainsi que la parfaite virginité que Dominique a « avouée » juste avant sa mort, représentée par le lis qu’il tient dans sa main.
Le globe avec la croix renversée est le symbole de l’hérésie cathare, renversée par la bonne prédication.
Ce tableau de Sassenage est donc relativement original et surtout, il transmet bien la pensée et la spiritualité d’une époque.
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Note annexe
Saint Joseph porte lui aussi souvent dans nos églises un lis, interprété comme le symbole de sa chasteté vis-à-vis de Marie.
Il s’agit en fait d’une histoire racontée dans les évangiles apocryphes : seul Joseph a pu faire refleurir (lors d’une sorte de concours) un bâton symbolisant l’arbre de Jessé « qui refleurira ». Jessé père du roi David, ancêtre du Christ. Ce signe de renouveau lui a fait confier la jeune vierge enceinte.
De même, le lis de Marie dans les annonciations, signifiait seulement au départ que l’annonce avait eu lieu — au printemps — dans « le jardin clos » de Marie. Il était figuré dans un vase entre elle et Gabriel. Il était symbole de renouveau avant d’être celui de pureté, comme ce sera interprété plus tard dans l’iconographie : Gabriel l’offrira alors à la Vierge.
Ce commentaire a été rédigé par Elyane Saussus (Commission d'art sacré du diocèse de Grenoble-Vienne).
L'auteur de ce commentaire a jugé bon de préciser également: "à mon avis, ce tableau ressemble plus à l’école espagnole qu’à l’école du Nord : par ses couleurs et la figure allongée des personnages, et même s’il a été signé par un homme portant un nom hollandais (nombreux liens entre les deux pays). Mais des historiens d’art pourraient peut-être me contredire….."